WHITE SPACES
2013
Installation à la Collégiale St Pierre le Puellier, Orléans




En arts visuels, le white space est la portion d’une page laissée délibérément vide afin d’équilibrer sa composition : il offre son inconsistance à la mise en exergue du sujet, apporte le décalage, répartit les volumes, rompt les géométries et dynamise la narration. Composante technique essentielle de la pratique photographique, son utilisation s’inscrit dans le cycle minutieux de la construction d’images.

Plus terre à terre, le white space se retrouve également dans l’étude des paysages contemporains. Philippe Vasset, membre de l’Atelier de Géographie Parallèle, le définit dans son ouvrage « Un livre blanc », carnet de voyage d’un périple singulier qui l’a conduit à visiter les lieux laissés blanc sur les cartes IGN. Le blanc y est vide, absence, absence humaine, absence d’identification, absence d’identité. Le paysage y est défaillant, abandonné de sens et de légitimité : un « non-lieu » où se délite le tangible et s’évapore l’humanité.

A une topologie d’image répond ainsi une topologie de territoire. Le white space incarne cette union symbolique de la disparition des repères et du réel dans la photographie comme dans le lieu photographié. De ce postulat naît l’architecture de voiles présentée à la Collégiale St Pierre le Puellier : un concours de transparences dans lequel les photographies et les lieux s’assemblent, se mélangent, s’annulent et se régénèrent. Simulacre simulant d’autres simulacres, l’image n’y existe pas plus que le paysage. Les voiles jouent de ces deux entités, entre présence et absence, en suspension entre dissimulation et simulation d’un monde dont on ne sait que la vérité perdue.

« Nous ne croyons plus que la vérité reste vérité sans ses voiles ; nous avons trop vécu pour croire cela. Nous faisons maintenant une question de décence de ne pas vouloir tout voir nu, de ne pas assister à tout, de ne pas chercher à tout "savoir". » La vérité est-elle si difficile à accepter qu’un voile lui offrirait le prisme de la pudeur, masquerait l’obscène ou l’insupportable dans une métaphysique où l’apparence triompherait sur l’essence ? Le voile, comme mensonge profitable et stimulant, serait dès lors constitutif de la vérité. C’est ce que soutient Baudelaire dans cette logique nietzschéenne lorsqu’il aspire à « être ramené vers les dioramas dont la magie brutale et énorme sait [lui] imposer une utile illusion. Ces choses, parce qu’elles sont fausses, sont infiniment plus près du vrai ; tandis que la plupart de nos paysagistes sont des menteurs, justement car ils ont négligé de mentir. »

Dans White Spaces, le voile est tout autant le substrat de la photographie que celui du paysage, autant de fenêtres sur le monde virtuel, accéléré et transformé qui nous entoure. Le degré d’opacité des tissus y est carapace, garant de l’entropie. En usant de quatre variantes de transparences, les textiles dictent leur irréférence aux photographies et aux territoires. Avec l’épaisseur de la bâche, le visible de la représentation comme celui du lieu semblent simulés dans l’abstraction et la perte de repères, remettant en cause le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire : des images qui montrent qu’il n’y a plus rien à voir. Avec l’opposite limpidité du voile, le cliché et la géographie s’effacent, se dissimulent, feignent de ne pas exister tout en laissant intact le principe de réalité : des tentatives de réconciliation avec une possibilité du paysage.

« La photographie annule le monde, fixe la fin du réel et l’objet renaît avec une identité autonome, ni illustratif, ni démonstratif ». Privées de leur consistance, les oeuvres-objets convergent vers une absence. Peut-être ce que recherchait Baudrillard dans sa quête du langage poétique des images. Dans la trans-lucidité des voiles, les photographies et les lieux sont dépouillés de leurs prérogatives, de leur matérialité, sans toutefois perdre pied avec la vraisemblance. Sans forme, sans couleur, ils apparaissent et déjà se dérobent, meurent en silence dans une esthétique de la disparition.

Jérémie Lenoir