GILLES TIBERGHIEN
2009
Préface de la monographie "Territoires occupés" chez LME




Un exercice de sincérité

Les photos de ce livre m’ont tout de suite frappé par la rigueur de leur composition, par quelque chose qui, inévitablement me rappelait Alex MacLean mais qui n’avait avec lui, à y bien regarder, qu’un air de ressemblance. Cet air tient sans doute à des qualités artistiques comparables sans être semblables, mais aussi à un même fondement éthique qui trouve ses références chez John Brinckeroff Jackson dont Maclean fut l’étudiant à la fin des années soixante et dont Jérémie Lenoir découvrit il y a peu les textes en français. La leçon de Jackson qu’ils retiennent tout deux c’est que le paysage n’est pas seulement un point de vue sur le monde, une scène ou un décor comme l’indique le mot anglais scenery si difficile à rendre en français, mais qu’il est le résultat et le reflet d’une activité humaine. Cette activité est le fait de communautés historiquement établies qui se sont succédées dans l’histoire en tentant d’habiter durablement et le mieux possible les territoires que nous pouvons observer aujourd’hui. Du même coup et dans cette perspective on voit bien que le paysage n’est pas simplement l’objet d’une contemplation esthétique car, produit d’une activité proprement politique, au sens Grec, il a également une dimension morale.

On comprend que Jérémie Lenoir, jeune et talentueux photographe, et, comme bon nombre d’artistes de sa génération, sensible aux bouleversements qui affectent notre planète, ne se soit pas contenté de nous restituer les beautés de notre terre vue du ciel. Son indignation et son engagement déclarés sont assez clairs pour qu’on ne le soupçonne pas de complaisance esthétique. La rigueur de ses prises de vues ne fait d’ailleurs que confirmer sur le plan artistique cette position proprement éthique.

En même temps l’auteur ne nous cache pas sa fascination première pour le vol et ses références à St Exupéry en disent long sur l’imaginaire de l’adolescent qu’il fut et du jeune qu’il est encore. A vingt six ans il nous présente ici un travail d’une étonnante maturité qui allie une grande maîtrise de ses outils artistiques et une véritable intelligence de son objet. Sa réflexion sur la miniature mais aussi sur la géométrie des formes en témoigne. Certes, Jérémie Lenoir n’est pas paysagiste ou ingénieur agronome mais il a une formation à la fois scientifique – c’est un ingénieur – et artistique - il est sorti récemment de l’Ecole des Beaux-arts d’Orléans. Son regard bénéficie de cette double « compétence » mais avec un tact particulier qui donne à ses commentaires une allure laconique souvent descriptive où l’on sent parfois percer la critique sociale. Ainsi, lorsqu’on lit, dans la partie « Miniature », la légende pour la zone commerciale de St Pierre des corps (p. 14) : cette vue, écrit l’auteur, nous fait prendre conscience de « l’utilisation irréfléchie de l’espace en zone périurbaine » et montre « le poids que représentent la voiture et la marchandise dans notre société ». Mais Jérémie Lenoir s’émerveille aussi avec sincérité de ce qu’il voit et, dans ce même chapitre, on comprend comment sa très ancienne fascination pour les images d’en haut continue de nourrir ses rêves qu’on lui sait grès de vouloir partager avec nous.

Le plus curieux est que le petit territoire ici « couvert », cet échantillon de France qui nous est montré, semble d’une diversité insoupçonnée comme si l’appareil photographique de l’artiste avait eu la vertu de déplier le réel dont le ciel lui permet d’exprimer la richesse presque infinie. Ainsi, grâce à cette vue géométrale, le pilote - artiste devient capable de trouver en chaque chose vue tout un monde qu’il nous invite à mieux partager pour en apprécier la beauté qu’il sait parfois sulfureuse. Il ne cache d’ailleurs pas son ambivalence – et la nôtre - à l’égard de ce qu’il nomme une « beauté du diable » et l’on comprend en même temps que, pour lui, voler en rendant compte du monde qui est le notre aujourd’hui correspond à un véritable exercice de sincérité.

Gilles Tiberghien